Tuesday, 7 October 2008

JEUNE AFRIQUE: DOSSIER ANGOLA

Dès quelques mois, celui qu'on disait, au mieux, effacé et, au pire, sans charisme, a réussi à surprendre tous les observateurs politiques, faisant taire au passage les spéculations sur sa santé. En mai, après la 3e conférence nationale du Mouvement populaire pour la libération de l'Angola (MPLA), José Eduardo dos Santos a en effet lancé une véritable offensive de charme envers la jeunesse, dont le vote est toujours incertain, et envers les femmes, qui composent désormais plus de 60 % de l'électorat angolais. Ce qui a le plus surpris, y compris dans l'opposition, c'est la rapidité et la radicalité de la transfiguration présidentielle.
«Je suis le joueur d'une équipe qui gagne!» s'est-il exclamé le 29 août, devant des milliers de militants à Lubango. Entre l'homme taciturne, introverti, peu coutumier des grands gestes théâtraux - tout le contraire de feu Jonas Savimbi, fondateur de l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (Unita) - et la star médiatique que l'on a vue pendant la campagne courir le pays au gré des inaugurations d'infrastructures publiques, il y a un monde.
Mais il faut se rappeler que celui qu'on a surnommé « Zédu » (contraction de José Eduardo) a dû très tôt apprendre, tel un joueur de poker, à dissimuler ses émotions. Pour mieux grimper l'échelle du pouvoir...

SA DERNIERE BATAILLE?

Après l ' indépendance, en 1975, il est très proche d'Agostinho Neto (fondateur du MPLA et premier président de l'Angola), qui lui confie plusieurs postes ministériels importants (Relations étrangères, Plan...). À la mort de ce dernier, en 1979, il est propulsé à la tête du MPLA et de l'État par le numéro deux du parti, Lucia Lara, qui refuse le poste suprême parce qu'il est «métis et que ce n'est pas le moment». De fait, une partie de l'élite blanche et métisse du nouveau parti-État pense que le technicien dos Santos n'est qu'une éphémère solution de transition. Vingt-neuf ans plus tard, l'avènement du multipartisme a eu lieu (1991), Jonas Savimbi est mort (2002), l'Angola est devenu la clé de voûte de l'équilibre régional...
Et dos Santos est toujours en place. Prêt à recevoir l'onction démocratique de l'élection présidentielle de 2009.

A Luanda, qui compte près d'un tiers des 8,3 millions d'électeurs du pays, des problèmes d'organisation ont eu lieu dans environ 10% des bureaux de vote: files interminables, retards du personnel et du matériel électoral...
Et le scrutin a dû être prolongé d'une journée. Tout en pointant ces incidents, les observateurs de l'Union européenne et ceux de l'Union africaine ont qualifié les élections d'«impartiales et crédibles», la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et celle des pays de langue portugaise (CPLP) les jugeant «pacifiques et transparentes». Isaias Samakuva, président de l'Unita, a, dans un premier temps, déploré leur «manque de crédibilité». Avec quelques autres de 14 partis et coalitions en présence, il a demandé un nouveau vote dans les bureaux où il avait eu des difficultés. Une requête aussitôt rejetée par Caetano de Sousa, président de la Commission nationale électorale (CNE). Et, dès le 8 septembre, l'Unita a pris acte de sa défaite et annoncé qu'elle ne contesterait pas les résultats définitifs du scrutin. «Est-ce que nous avons vraiment le choix? Pouvons-nous descendre dans la rue?» demande avec fatalité Alcides Sakala, l'ancien président du groupe parlementaire de l'Unita.

OBJECTIF : DEVENIR LE LEADER POLITIQUE DE LA SOUS-RÉGION

En route pour l'élection présidentielle de 2009 comme dos Santos, Zuma n'est que le dernier en date des leaders de la sous-région sur lesquels le président angolais exerce une forte ascendance. C'est lui qui, en 1997, a aidé Laurent-Désiré Kabila à renverser le régime mobutiste, allié de l'Unita, puis à se maintenir au pouvoir en RD Congo. La même année, au Congo, les forces armées angolaises ont aidé Denis Sassou Nguesso à reprendre Brazzaville à Pascal Lissouba, lui aussi soutien de Savimbi. De quoi garder des liens étroits avec les deux voisins congolais...
Depuis, l'Angola a poursuivi son offensive diplomatique avec des moyens plus politiquement corrects, en renforçant notamment sa présence dans les structures multilatérales africaines. En 2007, l'Angola a été nommé pour
trois ans au Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine et devrait prendre une part croissante dans les opérations de maintien de la paix sur le continent. Sa présence s'est renforcée au sein de la Communauté économique des États d'Afrique centrale (CEEAC, dont le secrétaire exécutif adjoint est angolais depuis 1999). Et il fait désormais partie du comité permanent de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC), dont il est le deuxième contributeur après l'Afrique du Sud (avec 2,8 milliards de dollars pour 2008-2009).

DES CHANTIERS PAR MILLIERS

L'Angola est en effet un immense chantier. Les projets à l'étude ou en cours de réalisation ne se comptent plus: ports (notamment à Luanda, où le temps d'attente avan déchargement est estimé à quarante jours, mais aussi à Namibe, Cabinda, Lubango, Soyo, Lobito), aéroports (400 millions de dollars sont prévus pour leur réhabilitation dans l'ensemble du pays), lignes ferroviaires (réseaux de Luanda, Malanje, Benguela Moçamedes)...
De même, l'immobilier public et privé se développe. Favorisan l'émergence d'une classe moyenne, l'État commence à financer des programmes de logement. Lesquels jouxtent des projets plus spéculatifs comme celui, pharaonique, de Kilamba Kiaxi, dans la banlieue de Luanda, où China International Trust and Investment Corporation (Citic) va construire d'ici à 2010 une ville entière de 710 immeubles et 20000 appartements, pour un investissement de 3,5 milliards de dollars !

L'EXPANSION SELON SONANGOL

Fonctionnant à la manière d'un fonds souverain, la société pétrolière nationale Sonangol est au centre d'une stratégie qui vise à délocaliser, de Lisbonne à Luanda, les centres de décision de grandes sociétés portugaises. Elle pourrait ainsi bientôt prendre le contrôle de Galp Energia, dont elle contrôle déjà 15%, en achetant la part de 7% que l'État portugais a décidé de vendre le 1er août. Le géant angolais possède déjà, dans le secteur bancaire, 49,9% de Millenium BCP Angola (filiale de BCP, la plus grande banque privée portugaise, dont Sonangol est le plus gros actionnaire avec 10% des parts), 49% de BPI et 25% de Totta-Angola. Entre autres... Déjà propriétaire d'une compagnie aérienne, Sonair (qui possède une flotte de 52 appareils), la Sonangol entend aussi investir dans la compagnie nationale portugaise TAP, que le gouvernement portugais a l'intention de privatiser. •

© Jeune Afrique - Hebdomadaire International Independent, No. 2488, Septembre 2008
Dès quelques mois, celui qu'on disait, au mieux, effacé et, au pire, sans charisme, a réussi à surprendre tous les observateurs politiques, faisant taire au passage les spéculations sur sa santé. En mai, après la 3e conférence nationale du Mouvement populaire pour la libération de l'Angola (MPLA), José Eduardo dos Santos a en effet lancé une véritable offensive de charme envers la jeunesse, dont le vote est toujours incertain, et envers les femmes, qui composent désormais plus de 60 % de l'électorat angolais. Ce qui a le plus surpris, y compris dans l'opposition, c'est la rapidité et la radicalité de la transfiguration présidentielle.
«Je suis le joueur d'une équipe qui gagne!» s'est-il exclamé le 29 août, devant des milliers de militants à Lubango. Entre l'homme taciturne, introverti, peu coutumier des grands gestes théâtraux - tout le contraire de feu Jonas Savimbi, fondateur de l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (Unita) - et la star médiatique que l'on a vue pendant la campagne courir le pays au gré des inaugurations d'infrastructures publiques, il y a un monde.
Mais il faut se rappeler que celui qu'on a surnommé « Zédu » (contraction de José Eduardo) a dû très tôt apprendre, tel un joueur de poker, à dissimuler ses émotions. Pour mieux grimper l'échelle du pouvoir...

SA DERNIERE BATAILLE?

Après l ' indépendance, en 1975, il est très proche d'Agostinho Neto (fondateur du MPLA et premier président de l'Angola), qui lui confie plusieurs postes ministériels importants (Relations étrangères, Plan...). À la mort de ce dernier, en 1979, il est propulsé à la tête du MPLA et de l'État par le numéro deux du parti, Lucia Lara, qui refuse le poste suprême parce qu'il est «métis et que ce n'est pas le moment». De fait, une partie de l'élite blanche et métisse du nouveau parti-État pense que le technicien dos Santos n'est qu'une éphémère solution de transition. Vingt-neuf ans plus tard, l'avènement du multipartisme a eu lieu (1991), Jonas Savimbi est mort (2002), l'Angola est devenu la clé de voûte de l'équilibre régional...
Et dos Santos est toujours en place. Prêt à recevoir l'onction démocratique de l'élection présidentielle de 2009.

A Luanda, qui compte près d'un tiers des 8,3 millions d'électeurs du pays, des problèmes d'organisation ont eu lieu dans environ 10% des bureaux de vote: files interminables, retards du personnel et du matériel électoral...
Et le scrutin a dû être prolongé d'une journée. Tout en pointant ces incidents, les observateurs de l'Union européenne et ceux de l'Union africaine ont qualifié les élections d'«impartiales et crédibles», la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et celle des pays de langue portugaise (CPLP) les jugeant «pacifiques et transparentes». Isaias Samakuva, président de l'Unita, a, dans un premier temps, déploré leur «manque de crédibilité». Avec quelques autres de 14 partis et coalitions en présence, il a demandé un nouveau vote dans les bureaux où il avait eu des difficultés. Une requête aussitôt rejetée par Caetano de Sousa, président de la Commission nationale électorale (CNE). Et, dès le 8 septembre, l'Unita a pris acte de sa défaite et annoncé qu'elle ne contesterait pas les résultats définitifs du scrutin. «Est-ce que nous avons vraiment le choix? Pouvons-nous descendre dans la rue?» demande avec fatalité Alcides Sakala, l'ancien président du groupe parlementaire de l'Unita.

OBJECTIF : DEVENIR LE LEADER POLITIQUE DE LA SOUS-RÉGION

En route pour l'élection présidentielle de 2009 comme dos Santos, Zuma n'est que le dernier en date des leaders de la sous-région sur lesquels le président angolais exerce une forte ascendance. C'est lui qui, en 1997, a aidé Laurent-Désiré Kabila à renverser le régime mobutiste, allié de l'Unita, puis à se maintenir au pouvoir en RD Congo. La même année, au Congo, les forces armées angolaises ont aidé Denis Sassou Nguesso à reprendre Brazzaville à Pascal Lissouba, lui aussi soutien de Savimbi. De quoi garder des liens étroits avec les deux voisins congolais...
Depuis, l'Angola a poursuivi son offensive diplomatique avec des moyens plus politiquement corrects, en renforçant notamment sa présence dans les structures multilatérales africaines. En 2007, l'Angola a été nommé pour
trois ans au Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine et devrait prendre une part croissante dans les opérations de maintien de la paix sur le continent. Sa présence s'est renforcée au sein de la Communauté économique des États d'Afrique centrale (CEEAC, dont le secrétaire exécutif adjoint est angolais depuis 1999). Et il fait désormais partie du comité permanent de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC), dont il est le deuxième contributeur après l'Afrique du Sud (avec 2,8 milliards de dollars pour 2008-2009).

DES CHANTIERS PAR MILLIERS

L'Angola est en effet un immense chantier. Les projets à l'étude ou en cours de réalisation ne se comptent plus: ports (notamment à Luanda, où le temps d'attente avan déchargement est estimé à quarante jours, mais aussi à Namibe, Cabinda, Lubango, Soyo, Lobito), aéroports (400 millions de dollars sont prévus pour leur réhabilitation dans l'ensemble du pays), lignes ferroviaires (réseaux de Luanda, Malanje, Benguela Moçamedes)...
De même, l'immobilier public et privé se développe. Favorisan l'émergence d'une classe moyenne, l'État commence à financer des programmes de logement. Lesquels jouxtent des projets plus spéculatifs comme celui, pharaonique, de Kilamba Kiaxi, dans la banlieue de Luanda, où China International Trust and Investment Corporation (Citic) va construire d'ici à 2010 une ville entière de 710 immeubles et 20000 appartements, pour un investissement de 3,5 milliards de dollars !

L'EXPANSION SELON SONANGOL

Fonctionnant à la manière d'un fonds souverain, la société pétrolière nationale Sonangol est au centre d'une stratégie qui vise à délocaliser, de Lisbonne à Luanda, les centres de décision de grandes sociétés portugaises. Elle pourrait ainsi bientôt prendre le contrôle de Galp Energia, dont elle contrôle déjà 15%, en achetant la part de 7% que l'État portugais a décidé de vendre le 1er août. Le géant angolais possède déjà, dans le secteur bancaire, 49,9% de Millenium BCP Angola (filiale de BCP, la plus grande banque privée portugaise, dont Sonangol est le plus gros actionnaire avec 10% des parts), 49% de BPI et 25% de Totta-Angola. Entre autres... Déjà propriétaire d'une compagnie aérienne, Sonair (qui possède une flotte de 52 appareils), la Sonangol entend aussi investir dans la compagnie nationale portugaise TAP, que le gouvernement portugais a l'intention de privatiser. •

© Jeune Afrique - Hebdomadaire International Independent, No. 2488, Septembre 2008

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